« La beauté des sexes » : l’éducation à la sexualité par l’humour au collège public des Gorges de la Loire
Une représentation ancrée dans un projet annuel
Dans le cadre du parcours EAC, du parcours santé et du parcours citoyenneté, à partir du recueil de témoignages d'expériences vécues, de recherches, d'analyse, de la lecture et de l'étude de textes littéraires et de chansons, tous les élèves du niveau 3ème du collège public des Gorges de la Loire s’interrogent, depuis le début de l’année, sur la thématique du corps : le corps du soldat blessé, le corps de l’adolescent qui se métamorphose et subit les regards, les outrages et les violences. C’est dans cette perspective que les élèves ont rencontré, en décembre dernier l’autrice Frédérique Hespel (voir notre précédente édition : https://www.lacommere43.fr/loire-semene/item/70532-echanges-partage-ecriture-et-emotions-au-college-public-des-gorges-de-la-loire-a-aurec-sur-loire.html) et ont écrit une partie de leur autobiographie. C’est aussi dans ce cadre qu’ils ont bénéficié d’ateliers de pratique théâtrale…
La pratique théâtrale pour travailler les compétences langagières
Durant le mois de janvier en effet, c’est la compagnie « Les ateliers de la belle inutile » qui est venue enrichir le parcours d’éducation artistique et culturelle des élèves. Ainsi, étudiant des scènes parmi les plus classiques de l’œuvre de Molière dans le cadre de l’entrée du programme « Avec autrui : amis, famille, réseaux », tous les élèves de 5ème se sont vu offrir la remarquable représentation de la pièce Merci Monsieur Molière par la Compagnie de L’Emporte-voix : les élèves ne pouvaient que sourire et rire devant l’incarnation par la comédienne Marieva Jame Cortez des personnages de Martine face au rustre Sganarelle dans Le Médecin malgré lui, de l’ingénieuse Toinette dans le rôle du faux médecin face à l’hypocondriaque et candide Argan du Malade imaginaire, Angélique dans le rôle de la femme libre face à la Jalousie du Barbouillé aux idées à la fois sexistes et d’un autre temps, et même le rôle de l’avare Géronte dans Les Fourberies de Scapin face à un Scapin malicieux… tandis qu’un ladre Harpagon concluait la pièce à la recherche de son « pauvre argent ».
Quant aux élèves de 3ème, ils ont bénéficié de huit heures de pratique théâtrale assurées par le metteur en scène, comédien et auteur Arnaud Beunaiche, directeur de la compagnie des Ateliers de la Belle inutile. Au programme, un travail sur les stéréotypes de genre, l’altérité, la différence et la tolérance ; les élèves ont ainsi appris comment prendre la parole devant un public et se mouvoir dans l'espace ; comment maîtriser l'espace, leur corps, leur gestuelle en bannissant tous gestes parasites et non signifiants, en osant prendre la parole, pour être entendus, audibles, écoutés ; les paroles « Le regard des gens » (extraites de l’album de Black M Les yeux plus gros que le monde) et « Le corps des femmes » (extraites de l’album de Mathilde La nuit, le jour) ont ainsi pris un tout autre sens mises en voix et en scène par des élèves de 14 ans qui, tout taciturnes qu’ils sont parfois, ont pourtant des mots à dire, des cris à pousser, une révolte à exprimer : « parce je ne marche pas », même si « j’ai la taille d’un enfant de sept ans […] Tu sais je suis pas si différent, j’ai un cœur comme toi », « Mais qu’est-ce qu’il a le corps des femmes pour qu’on n’lui foute jamais la paix […] Mais qu’est-ce qu’il a mon corps de femme pour qu’on le voie comme un objet »…
« La Beauté des sexes » : enrichir le parcours citoyen, le parcours santé, travailler l’éducation à la sexualité
Du corps des femmes, du corps des hommes, il en a également été question ce vendredi soir. En effet, les adolescents du collège, leurs parents et leurs proches étaient conviés à la représentation détonante, dynamique et « pleine de désir », de la pièce La Beauté des sexes par Erika Lecler-Marceau et Marine Viennet de la Compagnie Productions Sème. La salle était comble, plus de cent personnes s’étaient ruées au collège pour assister à ce spectacle. « Je ne sais pas, moi, comment on fait pour éduquer à l’équité des sexes » : voilà comment nos deux comédiennes entrent dans un catalogue de stéréotypes liées aux genres : besoins sexuels, conduite, mariage, cuisine… qui est le plus près de la tronçonneuse ? de la serpillière ? qu’est-ce que ça exige, au juste, d’être un homme ? Puis les élèves ont assisté au cours de SVT sur l’anatomie et les « joies d’en bas », invités à envisager le cycle des règles comme une session de surf sur le modèle du livre Kiffe ton cycle, à différencier sexe et genre, le masculin du féminin, une distinction bien délicate, à mettre en exergue les qualités de la femme et celles de l’homme… et à se méfier des stéréotypes, à avoir un regard critique sur les émissions de téléréalité et les stéréotypes qu’elles véhiculent, à en savoir davantage sur la cyprine et le clitoris schématisé dans un manuel de SVT uniquement depuis 2017 à en croire les comédiennes, à interroger les mots « porc », « chat » et « chien » qui deviennent des insultes au féminin, à se demander comment on fait pour donner des valeurs d’humanisme et de tolérance, à nos filles, à nos fils, concrètement… Paroles d’élèves : « J’ai adoré, il y avait de l’humour, on a appris des trucs, ça nous a fait réfléchir » ; « ma mère a apprécié qu’on propose ce genre de spectacle au collège » ; « il n’y avait pas de tabou, par de gêne », « c’était bien quand elles faisaient les profs de SVT », « c’était ludique, on a pu en parler avec mes parents après », « je ne savais pas qu’un clitoris ressemblait à un bonnet phrygien », « c’était original qu’il y ait des parents à ce spectacle », « c’était gênant », « ça a remis les idées en place sur les règles », « c’était bien car les comédiennes n’imposaient pas une idée », « il y avait beaucoup de choses réelles : par exemple, est-ce que les tâches sont bien réparties à la maison », « la crise de la quarantaine, j’ai pensé à mon papa », « le silence, à la fin, pendant que les comédiennes affichaient les portraits, c’était gênant mais c’était beau aussi et ça montrait qu’on est tous différents », « c’est bien qu’elles aient fait de l’humour pour parler de ce sujet, avec le cours de SVT, la tatie bourrée à Noël et l’arrêt de bus… et un élève d’imiter la comédienne : « Ouah la zouz… »…
Nul doute que ce spectacle, proposé par ce duo drôle et informatif, documenté de lectures et d’interactions avec le public, aura permis de se questionner sur le sexisme ordinaire, la connaissance du corps et l’équité des sexes, et de donner de nouvelles grilles de lecture aux élèves et aux adultes que nous sommes pour essayer de devenir les personnes que nous avons envie d’être, « oser dire ce qui va et ne va pas, créer ses propres repères, échanger pour avancer ».
L’ouverture culturelle au cœur du projet pédagogique de l’établissement
Ainsi, le collège public des Gorges de la Loire se démène pour continuer de proposer une offre culturelle riche à ses élèves : en cette année 2024-2025, ce sont plus de 5000€ qui ont été ou seront consacrés aux projets culturels dans ce collège rural de Haute-Loire. Pourtant, l’annonce, ces derniers jours, du gel de la part collective du pass’culture pour l’année scolaire 2024-2025 est tombée comme un véritable coup de massue, un véritable couperet. Cela ne peut que stupéfier et susciter l’inquiétude des établissements ruraux car pour ces derniers, éloignés des grands centres culturels urbains où l’accès à une salle de théâtre est à portée de jambes, le pass’culture est devenu essentiel pour ouvrir les esprits et éviter le repli sur soi. Or, lorsque, dans le budget de l’État, la culture apparaît comme une véritable variable d’ajustement, ce sont les établissements ruraux qui, une fois de plus, sont les premiers défavorisés.
JEAN-LUC LASCHAMP
Enseignant de lettres classiques