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Des mines et des bulles : les élèves de 4ème du collège public des Gorges de la Loire

Par Max Barel, publié le mercredi 10 avril 2024 15:07 - Mis à jour le mercredi 10 avril 2024 15:07
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de l’expérience littéraire et artistique à la découverte patrimoniale et culturelle

« Étienne ne comprenait bien qu'une chose : le puits avalait des hommes par bouchées de vingt et de trente, et d'un coup de gosier si facile, qu'il semblait ne pas les sentir passer. » (ZOLA, Germinal). Descendre dans la mine de Saint-Étienne comme le firent les haveurs et les herscheurs dans le Voreux de la mine de Montsou, c’est l’expérience qu’ont vécue les élèves de 4ème du collège des Gorges de la Loire en ce début de mois d’avril 2024.

Une visite qui s’inscrit dans un projet pédagogique annuel

            Dans le cadre du projet annuel sur le noir et l’altérité qui les avait déjà conduits à étudier l’esclavage aux XVIII et XIXème siècles et à rencontrer le dramaturge Arnaud Beunaiche en septembre venu présenter son œuvre poético-théâtrale Je suis Joseph, puis à étudier Cyrano de Bergerac et à se rendre à la représentation proposée par le théâtre du Puy-en-Velay en novembre, à découvrir le slam avec l’artiste Govrache en janvier et à aller vivre un concert de ce dernier à Mably avec leur famille et leurs amis, les élèves de 4ème du collège des Gorges de la Loire se penchent depuis février sur l’une des œuvres fondamentales d’Émile Zola : Germinal.

            Découverte et inventions du 19ème siècle, événements historiques, grands hommes et artistes, c’est autour d’un timeline que le travail a commencé en français parallèlement à l’étude de la révolution industrielle en cours d’histoire. Puis est venu le temps de l’étude de documents d’archives sur l’homme Émile Zola. Les élèves pouvaient alors se lancer dans la lecture de Germinal avec, pour un premier dépouillement de l’œuvre, la création de fiches-lieux, fiches-personnages, fiches-actions…

            Aussi, quoique l’intrigue de Germinal se situât dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, l’étude du roman amenait en toute logique à une visite du bassin minier le plus proche, celui de la Loire. Si le charbon y est exploité depuis le Moyen-Âge, l’exploitation du Puits Couriot date de 1919, soit 35 ans après la publication de Germinal et plus de 50 ans après les déroulement des péripéties d’Étienne et des Maheu. Néanmoins, c’est une visite adaptée à l’étude du roman qui a été proposée aux élèves.

« Dès quatre heures, la descente des ouvriers commençait. Ils arrivaient de la baraque, pieds nus, la lampe à la main. »

            Heureusement pour les collégiens d’Aurec-sur-loire, ce n’est qu’à 9h30 qu’ils ont commencé la visite, non sans avoir réfléchi aux usages du charbon au XIXème siècle – machine à vapeur, poêle à charbon, éclairage des réverbères, etc. – ; ils ont parcouru la mine, sont entrés dans la « salle des pendus » où les mineurs revêtaient leur tenue suspendue la veille au moment d’aller prendre une douche – un luxe que ne connaissaient pas les mineurs de Germinal, mais l’installation de douches a été rendue obligatoire en 1910  –, ont découvert la lampisterie, les jetons ronds, carrés ou triangles qui n’étaient autres que des numéros de matricule pour identifier les mineurs selon leur heure de descente, les lampes à flamme et les lampes à batterie qui présentaient l'avantage de repérer le grisou pour les premières, d’éclairer cinq fois plus pour les secondes !

            Ensuite, équipés d’un casque de sécurité, direction le chevalet ; après une observation du crassier (« terri » dans Germinal) où s’entassent les « déchets » de la mine, après un point sur le coron de Montsou vs les rares cités minières dans le bassin stéphanois si ce n’est à Roche-la-Molière, les élèves approchent de la « cage » ; là, une lecture à voix haute d’un extrait de Germinal s’imposait : « Sans un bruit, d’un jaillissement doux de bête nocturne, la cage de fer montait du noir [...] avec ses quatre étages contenant chacun deux berlines pleines de charbon. Des moulineurs, aux différents paliers, sortaient les berlines, les remplaçaient par d’autres, vides ou chargées à l’avance des bois de taille. Et c’était dans les berlines vides que s’empilaient les ouvriers, cinq par cinq, jusqu’à quarante d’un coup [...]. Un ordre partait du porte-voix, un beuglement sourd et indistinct, pendant qu’on tirait quatre fois la corde du signal d’en bas, « sonnant à la viande », pour prévenir de ce chargement de chair humaine. Puis, après un léger sursaut, la cage plongeait silencieuse, tombait comme une pierre, ne laissait derrière elle que la fuite vibrante du câble. » À Saint-Étienne, 35 mineurs dans la partie supérieure de la cage et 35 mineurs dans la cage inférieure descendaient à 727m de profondeur en une minute, soit 12m par seconde ! Les Aurécois ne descendront, eux, que… d’une dizaine de mètres !

            Dans la mine, d’autres extraits de Germinal sont lus, rappelant les conditions de travail, la galerie qui se creuse mètre par mètre, la chaleur et l’humidité, malgré la ventilation : « La température montait jusqu’à trente-cinq degrés, l’air ne circulait pas, l’étouffement à la longue devenait mortel. Il avait dû, pour voir clair, fixer sa lampe à un clou, près de sa tête ; et cette lampe, qui chauffait son crâne, achevait de lui brûler le sang. Mais son supplice s’aggravait surtout de l’humidité. La roche, au-dessus de lui, à quelques centimètres de son visage, ruisselait d’eau, de grosses gouttes continues […] ». L’occasion également de se pencher sur le temps de travail, sur le travail des femmes et des enfants, sur les 20 minutes de pause qui empêchent de remonter pour manger « la portion » (« le briquet » dans Germinal), le problématique boisage qui cristallise les tensions dans Germinal, mais aussi la présence d’une écurie qui rappelle les chevaux Bataille et Trompette du roman descendus harnachés sous l’ascenseur et les yeux bandés pour les apaiser. C’est ainsi que se conclut la visite du Musée de la Mine… mais la journée ne s’arrêtait pas là…

            Des adolescents et des bulles : un projet fait de rencontres

            En effet, le projet sur le noir et l’altérité mené par l’équipe pédagogique de 4ème est transdisciplinaire : ainsi, la professeure-documentaliste du collège et le professeur d’arts plastiques travaillent sur le noir dans les arts et la littérature. Il est alors apparu comme une évidence de travailler sur le monde des bédéistes et des mangas. Le libraire de la librairie indépendante Des hommes et des bulles est donc venu rendre visite aux élèves de 4ème fin mars et, dans le cadre du « parcours avenir », leur a présenté son métier de libraire, la chaîne du livre, le monde de la bande dessinée européenne, du manga, du Manhwa coréen, du Manhua chinois, des comics étasuniens… et quelques livres en guise d’illustration. Le projet Jeunes en librairie a ensuite permis aux élèves de se rendre dans la librairie Des hommes et des bulles pour y flâner et y acheter une bédé ou un manga financé par le dispositif. En mai, ce sera au tour d’un mangaka de venir présenter son travail aux élèves… et leur faire faire des esquisses mettant en relief… noir et altérité.

            Aussi, c’est bien quand un projet mêle les différentes compétences, les acteurs du patrimoine littéraire et culturel, qu’il fait sens et donne du sens aux enseignements. Ainsi, aux rencontres et aux esquisses, se mêleront, dans les prochaines semaines, lectures et mises en voix de poèmes rendant hommage à ces femmes et ces hommes qui ont fait notre histoire, notre patrimoine, et continuent à nourrir nos élèves d’aujourd’hui, citoyens de demain. Ipso facto, nous conclurons avec Émile VERHAEREN dans La multiple splendeur :

« Et vous encor mineurs qui cheminez sous terre,
Le corps rampant, avec la lampe entre vos dents
Jusqu'à la veine étroite où le charbon branlant
Cède sous votre effort obscur et solitaire ; […]

Je vous sens en mon cœur, puissants et fraternels ! »

JEAN-LUC LASCHAMP
Enseignant de lettres classiques